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Cet article est paru sur le site des anciens élèves
de la Mission laïque française de Damas : http://www.mlfcham.com/index.php?option=com_content&view=article&id=1457:dictature-et-harmonie-entre-politique-et-religion-&catid=277:reform--issues-and-proposals&Itemid=1984
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Dictature et harmonie entre politique
et religion Matières 1.
Entre dictature et
harmonie : boire ou conduire il faut choisir 2.
Dictature et
sous-développement 3.
Le cas syrien ou la
guerre contre l’Histoire 4.
Le concept
d’historisation 5.
La christianisation
de Rome 6.
Violence et religion
aujourd’hui Idées maîtresses L’historisation
dans les systèmes d’information Datawarehouse,
ou entrepôts de données La
décision entre politique et religion Islam
Dictature et harmonie entre politique
et religion Juillet 2013 1. Entre dictature et
harmonie : boire ou conduire il faut choisir L’écriture de ces pages a été stimulée par la récente proposition d’Amin Elsaleh d’une
nouvelle rubrique sur www.mlfcham.com : « Dictature politique ou
dictature religieuse »[1] A la lecture de ce titre,
ma première impression a été que la dictature, politique soit-elle ou religieuse, est
d’abord une dictature. En effet, toutes deux se considèrent, ou feignent de
se considérer, comme détentrices de vérité. Politique soit-elle ou
religieuse, la dictature ambitionne d’asservir le citoyen et/ou de piller les
richesses d’un pays. Aucune des deux ne craint le meurtre, aucune des deux
n’a le sens de l’amitié clamée par les fondateurs de la science politique,
les deux sont sans amour et sans spiritualité. Enfin, sous couvert
politique ou religieux, le dictateur est un homme sans amis. A l’opposé des dictatures, les propos
d’un païen aussi expérimenté dans l’art politique que l’empereur stoïcien
Marc Aurèle, pourraient bien résumer l’idéal qui devrait guider la décision
politique et guérir le dictateur des perturbations mentales qui le frappent
tout en empêchant le citoyen de s’épanouir : « Tu
ne saurais bien faire une chose humaine qu’en la rapportant aux choses
divines et inversement ». (Pensées. Livre III) 2.
Dictature et sous-développement Corrompu en soi, le
comportement dictatorial d’il y a mille ans ou celui d’aujourd’hui, est
incompatible avec un haut niveau éducatif, spirituel et éthique. Un exemple extrême mais significatif
est celui de Pythagore, que la Tradition a bien voulu surnommer
« Premier philosophe » : quand vers 540 AC, le tyran
Polycrate a renversé le régime aristocratique de Samos en mer Egée,
entreprenant même la conquête des îles voisines et qu’il s’est allié tantôt
avec l’Egypte, tantôt avec la Perse (la dictature n’a pas de logique),
Pythagore a jugé indécent pour un sage de vivre sous un pareil régime, et il
a décidé de s’embarquer pour l’Italie. Ce témoignage revient à Porphyre de
Tyr[2]. En nutritionnisme, en géométrie ou en
savoir-vivre fraternel, les premiers succès de la philosophie de Pythagore
n’ont donc pas profité à son pays natal, mais à cette Italie du Sud,
elle-même prolongement culturel de la Grèce.
Rien n’étant nouveau sous
le soleil de 2013, les sages
d’aujourd’hui imitent Pythagore et quittent le pays dictatorial vers des
cieux assez cléments pour que la respiration n’y soit pas interdite. Pour des personnes qui
aiment la lecture, les bibliothèques, le savoir-vivre et le savoir-penser,
pour ceux qui croient en un Dieu clément et miséricordieux, peut-il en être
autrement que de s’installer en pays démocratique et d’y respecter la
Tradition ! Si ce phénomène se
généralise, si tous les sages quittent les pays dictatoriaux – chose qui
s’est avérée mille fois en Asie ou en Afrique et ailleurs – la population d’un pays dictatorial est
appelée à se modifier négativement au fur et à mesure que le temps passe. 3.
Le cas syrien ou la guerre contre l’ Le cas syrien est un
exemple éloquent : sous l’effet de l’interdiction des lycées bilingues
en Syrie au milieu des années 1960 (ceux qui préparaient aux deux
baccalauréats, français et syrien), de nombreuses familles syriennes ont
quitté le pays pour assurer une bonne éducation à leurs enfants. L’argument de
« confessionnalisme » avancé, à l’époque, par l’Etat ne résiste à
aucun grattage. Non seulement l’Etat syrien d’alors n’avait aucun argument
concret pour appuyer sa thèse de confessionnalisme, non seulement ces
Institutions bilingues accueillaient des élèves sans aucune distinction
religieuse, mais la Mission Laïque Française de Damas,- comme son nom
l’indique sans enseignement religieux,- avait été frappée par les mêmes lois
discriminatoires. Encore une fois, la religion n’a été qu’un masque pour le
dictateur. Le dernier baccalauréat
français préparé en Syrie s’étant fait en 1965, il est utile d’observer le contexte
scientifique et culturel de cette période clé des Trente Glorieuses
(1945-1975). La relance commencée en Europe et aux Etats-Unis après la fin de
la Seconde Guerre mondiale, avait alors convergé vers le début de ce que l’on
appelait l’informatique scientifique, ou application de l’informatique aux
calculs scientifiques. Nous assistions alors, aux beaux jours du calcul
matriciel et à ses applications en physique, en sciences humaines, en
statistique, etc. Peu après ce changement de
cap, le concept de banques de données, qui commençait à voir le jour, a
trouvé son prolongement dans une nouvelle philosophie des encyclopédies
(années 1980[3])
puis dans ce que nous appelons aujourd’hui
datawarehousing (entrepôts
de données). Sans doute l’Etat syrien
avait-il ainsi mis à l’écart ses citoyens de l’une des plus grandes aventures
intellectuelles et spirituelles que l’humanité ait jamais connues. Qu’aurait
dû faire à l’époque un gouvernement sensé si ce n’est d’encourager
l’apprentissage des langues étrangères ? En bien non, c’est le contraire
qui avait été décidé en Syrie : alors que les nouveaux concepts de la
logique sont étrangers, l’Etat syrien a voulu s’isoler ! La décision de l’Etat
syrien de l’époque était une forme de lutte contre le temps, ou contre un
changement manifestement irrévocable, tant il était inscrit dans le
progrès. La guerre contre l’histoire Qui plus est, sachant que
les relations culturelles entre la Syrie et la France trouvent le début de
leur consolidation à la conversion de Clovis (Bataille de Tolbiac. 496),
l’initiative de l’Etat syrien était aussi un dénigrement de l’histoire de la
Syrie, pire encore de l’histoire du monothéisme, et ce sous couvert de
religion !!! On ne construit pas le
progrès sur un double mensonge : actuel et historique. L’évolution des
technologies de l’information va conforter ce point de vue. 4.
Le concept d’historisation L’évolution des
technologies de l’information nous invite désormais, à ce que l’on
appelle « historisation » ; autrement dit, à tracer des
lignes où les évènements d’aujourd’hui
sont susceptibles de se lire dans le prolongement du passé. Au sens des datawarehouse
(entrepôts de données), l’historisation nous permet de cerner de plus près
les grandes donnes qui structurent l’information : aussi bien la
direction de l’évènement (leur tendance) que les lois régissant le
comportement de la personne humaine. A cet effet,
l’historisation doit être conçue avec une signalétique (ou nomenclature) permettant d’accéder aux diverses
dimensions qui circonscrivent l’évènement : société, psychologie,
économie, etc. Cette signalétique s’apparente également à ce que les
bibliothécaires appellent « plan de classement », long sujet sur
lequel il conviendra de revenir sous d’autres titres. Il reste que, dans un
fichier informatique où les évènements sont relatés selon l’ordre
chronologique, une signalétique appropriée nous permettra de nous arrêter sur
un évènement à caractère social et naviguer autour de cet évènement sur les
conditions économiques et littéraires qui l’accompagnent. Mieux encore quand les
mémoires (RAM et ROM) sont toujours plus performantes : dans un fichier
informatique où les évènements sont relatés selon l’ordre chronologique où
ils se sont produits, nous ferons des pauses pour comprendre le processus
mental qui prédispose notre intelligence des faits. C’est ainsi que la
lecture des suites évènementielles proposées par des personnalités aussi
illustres que Saint Augustin (354-430) ou qu’Ibn Khaldoun (1332 – 1406), nous
invitera à nous arrêter sur le fonctionnement de la mémoire qui analyse les
évènements ! Aujourd’hui que nous
sommes en 2013, le train est déjà parti et la direction des puces n’attendra
pas la décision des détenteurs de vérités que sont certains décideurs du
monde dit démocratique. Ce que l’appareil français de formation appelle
désormais « cognitique »
n’est pas une invention du 20ème siècle : notre façon d’appréhender
la connaissance a bel et bien longuement été traitée par Augustin de Thagaste
ainsi que dans les Prolégomènes d’Ibn Khaldoun. Parmi les éléments
instruits dans mes bases de données, la christianisation de l’empire romain
m’ayant fait beaucoup réfléchir sur la relation entre politique et religion,
ce sujet me servira d’exemple pour illustrer et clore ces pages. 5.
La christianisation de Rome. Reine
du raisonnement en termes de système, la cohérence est bien ce qui manquait à
l’empereur Constantin avant de se convertir au Christianisme. A la veille de la
bataille du Pont de Milvius, gagnée contre l’empereur d’Orient Maxence (312),
Constantin aurait vu en rêve Jésus-Christ lui demander d'inscrire les deux
premières lettres de son nom (XP en grec) sous les boucliers de ses
troupes. Le lendemain, une croix lui
serait apparue dans le soleil portant l'inscription : « in hoc signo vinces » (Triomphe
par ceci). C’est sans vraiment
connaître les valeurs éthiques du Christianisme, que l’empereur Constantin le
Grand s’est autoproclamé chef de l’église. Son fameux Edit de Milan (313),
qui autorise – théoriquement – le Christianisme, est un acte politique bien plus que
religieux. Dans le prolongement de la
politique de Constantin, son fils Constance ira jusqu’à pratiquer la
dictature à l’égard des représentants de l’église en leur disant tout
haut : « Mes lois tiennent lieu de canons. Obéissez
quand je parle » Un évêque
syrien, Monseigneur Hindo a analysé ces propos comme une conséquence de
l’entrée en masse dans le Christianisme, et sans aucune préparation, d’une
foule qui ignore sa nouvelle religion et qui garde des mœurs païennes
(Cf. Œuvre d’Orient. Avril 1998). Pour donner
une idée de la domination des mœurs païennes dans les mentalités de ce début
de quatrième siècle, on se souviendra, qu’à l’opposé des principes du
Christianisme, un étranger qui se mêlait à la foule à Athènes était encore
passible de la peine de mort[4]. Ne généralisons pas Malgré l’intolérance de
nombreuses personnalités politiques de l’époque qui suit la proclamation du
Christianisme comme religion de l’empire, force est de voir qu’il existe dans
le fond culturel païen, une recherche spirituelle et religieuse capable de
séduire les plus croyants des religions monothéistes. Epictète,
païen et religieux Epictète
voit les choses de la nature se compléter mutuellement dans leur diversité.
Sans avoir besoin des religions sémitiques, il pressent l’existence d’un
Créateur : « Qui donc
a adapté ceci à cela et cela à ceci ? Qui a adapté l'épée au fourreau et le
fourreau à l'épée ? N'est-ce personne ? L'arrangement même des parties dans
l'objet achevé nous fait ordinairement voir qu'il est l'œuvre d'un certain
artisan et qu'il n'est pas d'une combinaison accidentelle. Si tout objet révèle ainsi son artisan,
les choses visibles, la vue et la lumière ne révèlent-elles pas le leur ? Le
mâle, la femelle, l'ardeur à s'unir entre
eux, le pouvoir d'user des organes faits pour cette union, tout cela ne
révèle-t-il pas un artisan ? » [5]
Car Dieu,- pour ceux qui y
croient,- gère le monde entier, et le concept de divinité est associé à celui
de l’harmonie éternelle. Etant donné que l’harmonie est toujours dans la
diversité, la divinité est dans l’ensemble des sciences. La Divine Comédie de
Dante nous parle de Dieu comme la somme des sciences et le premier amour (somma
sapienza e ‘l primo amore. Enfer
III). 6.
Violence et religion aujourd’hui Qu’il s’agisse de la
bataille du pont de Milvius ou de la bataille de Tolbiac, ces évènements doivent être interprétés dans le contexte
de leurs époques respectives en tenant compte du degré de maturité
spirituelle des guerriers de l’époque. Tuer Maxence nous choque
« en-soi » car le meurtre est choquant « en-soi ». Mais
puisque ce meurtre s’est fait il y a 1700 ans, nous n’avons pas le droit de
nous poser en juges : ce meurtre a été fait à une période où l’humanité
n’était pas assez mûre. Il en va de même de la
bataille de Tolbiac. Nous trouvons incohérent et choquant que Clovis se soit
converti à une religion d’amour suite à une victoire guerrière, mais nous comprenons son erreur comme
le mal d’une époque qui n’a pas encore cerné
les modalités du progrès. Historiser l’évolution de
notre monde au sens des datawarehouse est aujourd’hui, d’abord et surtout, la
description de l’évolution humaine depuis une politique de la mort vers une
politique de la vie. Egard où politique et religion – loin de se contredire –
se confortent et permettent à la personne humaine de prospérer mentalement,
économiquement et spirituellement. Le débat qui se déroule à la cour d’Assise de
Paris en ce 11 juin 1851 ne manquera pas, j’en fais le pari, de siéger dès
demain dans tout datawarehouse qui aborde la relation entre politique et
religion. Ecoutons plutôt un intervenant qui s’appelle Victor Hugo : « Oui, ce reste de pénalités sauvages, cette
vieille et inintelligente loi du talion, cette loi du sang pour le sang, je
l'aie combattue toute ma vie, messieurs les jurés. Et tant qu'il me restera
un souffle dans la poitrine, je la
combattrai de tous mes efforts comme écrivain, de tous mes actes et de tous mes votes comme
législateur, je le déclare devant cette victime (Victor Hugo tend le bras et
montre le Christ qui est au-dessus du tribunal) de la peine de mort qui est
là, qui nous regarde et qui nous entend !
(Profonde émotion dans la salle)[6] Aujourd’hui, pour évoluer,
l’Islam doit s’intégrer dans l’histoire du monothéisme judéochrétien sans
vouloir inventer une nouvelle histoire du monde. La cohérence demeurant au
centre de gravité de toute réflexion, ceux qui disent être musulmans n’y
échapperont pas. Or, et comme l’a observé Nicolas Chahine : « Parler de Dieu
Amour, n’a plus de place lorsqu’on veut mener une guerre sainte tout azimut »[7]. Aux musulmans qui veulent rester dans le monothéisme, il reste à
dénoncer l’enseignement de la haine et ceux qui coupent les têtes et se font
filmer pour montrer leur bravoure. C’est de cette manière que l’Islam
retrouvera, je l’espère, la splendeur initiée par son Prophète Mohammed. Noms propres cités Augustin
de Thagaste. Penseur et Saint Badinter
Robert. Avocat et homme politique français
Chahine
Nicolas. Médecin et homme de Lettres syrien. Chrysippe.
Philosophe grec païen Clovis.
Premier roi de France Constance.
Empereur Constantin
le Grand. Empereur Dante
Alighieri. Penseur et homme de Lettres Elsaleh
Amin. Informaticien, coordinateur du site www.mlfcham.com Epictète. Philosophe stoïcien Hindo Bahnan. Ecclésiastique
syrien syriaque Hugo
Victor. Ecrivain et philosophe Ibn
Khaldoun. Penseur, un des fondateurs de la sociologie historique. Maxence.
Empereur d’Orient Marc
Aurèle. Empereur et philosophe stoïcien Polycrate.
Tyran Porphyre
de Tyr. Philosophe païen Pythagore
de Pacifiste. Père de la géométrie et de la philosophie. |
[1] http://www.mlfcham.com/index.php?option=com_content&view=article&id=1456:nouvelle-thematique-qdictature-politique-ou-dictature-religieuseq-&catid=277:reform--issues-and-proposals&Itemid=1983
[2] Page 43 de « Vie de
Pythagore. Lettre à Marcella ». Par Porphyre. Texte établi et traduit par
Edouard des Places, S. J. Correspondant de l’Institut. Avec un appendice d’A.-Ph Segonds. Ouvrage publié avec le concours du C.N.L.
Société d’édition « Les Belles Lettres ». Paris. 1982.
[3] Cf. « Des banques de
données pour les étudiants, les enseignants et les chercheurs ».
Ministère de l’Education nationale, de la recherche et de la technologie.
Distribué par la sous-direction des Bibliothèques. Vente interdite. 68
pages.
[4] Nous le savons par le rhéteur
grec Libanais (314 – 393) dont le témoignage figure dans L’Esprit des lois de
Montesquieu.
[5] Entretiens I. « De la
Providence ». Page 820 de « Les Stoïciens ».
Traduction par Emile Bréhier, revue par V. Goldschmidt. Bibliothèque de la
Pléiade. Gallimard. 1962.
[6] Cf. Page 11. Avant-propos de
« L’Abolition ». Par Maître Robert Badinter. Editions Fayard. 2000.