Paru sur le site des anciens élèves de
la Mission Laïque Française (MLF) de Damas.
Le 13 décembre 2010.
Système et
cohérence En amont de la réflexion en termes de
système, les sciences et les technologies de l’information, ont adopté les
deux américanismes de datawarehouse et de datamining. La
première partie de ce texte s’étend sur les spécificités de ces deux termes,
ainsi que leur complémentarité. La seconde partie se consacrera alors à la
genèse et à l’actualité du concept de cohérence dans la philosophie du
système. * Datawarehouse :
volet énonciatif de l’information, souvent traduit par « entrepôt de
données », le concept de datawarehouse a été créé par Bill Inmon, un expert étasunien en bases de données[1].
Devenu usuel dans le jargon quotidien des statisticiens francophones, le
datawarehouse désigne un ensemble de fichiers statistiques et textuels,- de données
brutes et de synthèse,- qui embrassent les différents aspects d’un domaine. Bien qu’en règle générale, le
datawarehouse concerne l’entreprise, l’informatisation des sociétés fait
qu’on parle désormais de datawarehouse dans toute gestion rationnelle d’un
ensemble de fichiers de renseignements. Le datawarehouse, ou entrepôt de
données, tend à remplacer ce qui était
jadis désigné par « banque de données ». Une des raisons
plausibles de ce nouveau vocabulaire est sans doute l’émergence de systèmes de
gestion des bases de données plus puissants qu’autrefois. De manière
concomitante, les coûts de stockage ont diminué en symbiose avec la baisse
des prix des mémoires. Ces facilités
« matérielles » ont permis aux Institutions publiques de conserver
des informations qui se répètent régulièrement (Comme, par exemple, en
France, l’enquête sur le recensement général de la population.). Voilà qui a
considérablement enrichi le contenu des « banques de données »,
donnant aussi les moyens d’un suivi à travers le temps. Ces transformations
ont été accompagnées de la naissance du verbe « historiser » avec bien de
formes conjuguées. Quant au substantif
« historisation », il est entré de plein pied dans la
définition de l’entrepôt de données[2]. Datamining :
volet exécutif du traitement de l’information, le datamining se traduit
usuellement par « fouille de données ». Tout aussi bien passé dans
le jargon des statisticiens francophones que son confrère le datawarehouse,
ce mot désigne l’ensemble des logiciels qui se destinent à analyser, traiter
et synthétiser les éléments d’un entrepôt de données. Ce travail incorpore le calcul
numérique autour duquel la statistique mathématique avait développé de
nombreux outils, dès l’émergence des langages de programmation ; dans
les années 1960. Le datamining, ou instruments de
fouille des données, tend aujourd’hui à remplacer ce qui, jadis, était
désigné par « bibliothèque de programmes ». Sans doute le besoin
d’une nouvelle manière de parler de l’analyse a-t-il été stimulé par la
naissance de langages de programmation plus brefs, plus puissants et surtout
mieux intégrés dans un système qui autorise tout à la fois la gestion des
fichiers et l’analyse de leur contenu. Voilà pourquoi, en même temps qu’il a
été question de datamining, l’inflation des mots a porté sur le
« contrôle de qualité » et les « systèmes informatiques
d’aide à la décision », ou plus brièvement de « Système
d’informatique décisionnelle » ; voir « informatique de
décision ». Le numéro 1 mondial de ce domaine est l’Institut étasunien
SAS[3]. Système :
bien que les concepts de datamining et de datawarehouse soient distincts,
aucun d’eux n’a de sens que par l’autre. Aussi, quand nous rédigeons un système
d’aide à la décision, nous devons aussi bien réfléchir sur le recueil des
données et le choix de leur contenu que sur leur organisation et leur
analyse. Dans l’entreprise, à la maison, ou
dans les Institutions de formation, pour qu’un entrepôt de données remplisse
ses fonctions d’une manière efficace, sa préparation, sa mise à jour et son
suivi doivent suivre des règles protocolaires qui optimisent l’analyse du
contenu par les logiciels de fouille. Enfin, et quel que soit le vocabulaire
utilisé, les deux piliers du traitement de l’information que sont l’entrepôt
et la fouille de données demeurent l’énoncé et l’analyse : L’énoncé de
la problématique analysée doit reposer sur des données exactes et complètes.
En effet, aucun juge ne peut prononcer son verdit sur la base
d’approximations et de ouï-dire. A ma connaissance, c’est le Livre d’Esaïe
(situé au 7ème siècle AC) qui représente le plus ancien témoignage
d’un idéal qui exclut les ouï-dire (Esaïe 11 :3), tout au moins en
est-il ainsi en Méditerranée. Quant à l’analyse, elle doit s’appuyer
sur de justes raisonnements. En effet, même si l’énoncé d’une question est
clair, aucun observateur sérieux ne pleut plonger dans ses formules en
laissant au vestiaire le patrimoine de la logique. Ce principe trouve dans la
classification des sciences (ÅÍÕÇÁ ÇáÚáæã) d’Al-Farabi
(871- 951) la fleur des méditations. Le second maître de logique après
Aristote y explique en effet qu’aucune spéculation mathématique ne saurait
éjecter la logique. A fortiori pourrons-nous le faire aujourd’hui pour une
informatique de décision qui s’appuie essentiellement sur les
mathématiques ! * J’en arrive à la deuxième partie de
l’exposé où je voudrais traiter de la cohérence dans le concept de système. Il est admis que la logique du système
germe et évolue en langue grecque, avec les stoïciens, globalement entre 322
AC et 180 PC, c’est-à-dire au cours de ces cinq siècles qui vont de la vie
de Zénon de Chypre à celle de
l’empereur Marc Aurèle. Pierre Aubenque a expliqué
que, par l’idée de système, les anciens stoïciens (orientaux en majorité)
voulaient signifier que : « (…) la philosophie est
un tout, que l’on peut certes diviser en parties pour les besoins de
l’enseignement, mais à condition d’apercevoir que chaque partie est solidaire
des autres et que l’abandon d’une seule partie ou d’une partie de partie
entraînera la ruine de l’ensemble » [4] Cette définition reste valable pour
l’écriture d’un système informatisé. En effet, les différents modules (programmes
ou ensemble de programmes) d’un système informatique peuvent être divisés en
parties pour les besoins propres d’une tâche, mais la mise en œuvre d’un
produit fini requiert des conventions protocolaires et/ou des programmes
interfaces qui rendent les modules solidaires d’une même problématique. Autrement dit, et comme dans les
propos d’un discours, les modules d’un système doivent adhérer ensemble sans
qu’aucun d’eux ne contredise un autre. Ce principe incorpore l’idée de
« cohérence ». Fondamentale dans l’écriture du système comme dans
l’expression parlée, la cohérence a cependant fait l’objet de merveilleux
écrits au cours de la période stoïcienne, et ce,- non par un stoïcien,- mais
par l’excellent ennemi des stoïciens que fut Plutarque (46 – 125). Etant donné qu’on ne peut pas
construire un raisonnement cohérent à partir d'idées qui heurtent le bon
sens, Plutarque a démontré l’incohérence de la fameuse aporie de Zénon (non
pas le stoïcien Zénon de Chypre, mais Zénon d’Elée, cinquième siècle AC).
D’après ce paradoxe, Achille n'atteindra jamais la tortue partie avant lui
(Cf. encadré : « Aporie de Zénon d’Elée»). Aporie de
Zénon d’Elée Selon Zénon,
une tortue qui est allée courir avant Achille ne sera jamais rattrapée par ce
dernier. En effet : Le temps
qu’Achille comble son retard, la tortue aura avancé d’une distance de ε1
Le temps
qu’Achille avance de ε1, la tortue aura avancé de ε2 Le temps
qu’Achille avance de ε2, la tortue aura avancé de ε3
Etc. etc. Ces propos sont parfois cités comme
ayant été comme l’un des piliers de la discipline actuellement dite
« topologie », science des lieux et des objets qui s’y posent.
C’est fort possible, mais il convient sans doute d’écouter la critique que
Plutarque oppose à ce raisonnement. A cet effet, considérons la phrase Ph : Ph = Si un être géométrique E jouit de la
propriété P, les possibilités de l’objet O, qui s’y meut, ne sont pas
réductibles à P. Posons
: E = un
segment de droite P =
divisibilité à l'infini O = Achille
(ou le rapide cheval d’Adraste, peu importe) Nous
obtenons Ph' : Ph'
= Si un segment de droite est divisible à l'infini, les possibilités
d’Achille qui s’y meut ne sont pas réductibles à la divisibilité à
l'infini. Il en
découle que les caractéristiques du mouvement d'Achille,- lequel mouvement se
pose sur un segment de droite,- ne sont pas réductibles à la divisibilité à
l'infini comme c’est le cas du segment de droite lui-même. C'est donc
seulement parce que Zénon a restreint son horizon d’observation (du mouvement
d’Achille) à un segment de droite qu'il a confondu la divisibilité à l'infini
avec l'incapacité d'Achille à dépasser la tortue. L’erreur de
Zénon est sans doute plus récurrente que ne le pensent certains modernes.
Cette erreur est même, me semble-t-il, de nature à confondre
certains topologistes. C’est pourquoi, il me paraît
utile de commémorer, sans retouches, un texte majeur de l’histoire de la
topologie ; comme de la logique.
Au berceau de la topologie Plutarque. Des notions communes[5] Certes les Stoïciens accusent Épicure de
créer de misérables fantômes et de violenter les notions communes en faisant
mouvoir tous les corps d'une égale vitesse sans admettre que l'on aille plus
vite que l'autre. Ce qui est encore beaucoup plus misérable et nous écarte
davantage des notions communes, c'est de dire que rien n'est rejoint par
rien, pas même si, comme le dit le proverbe, « le rapide cheval d'Adraste poursuit par derrière » une tortue. C'est
une conséquence nécessaire si, comme ils le veulent, les mouvements ont lieu
selon l'avant et l'après, et si les intervalles qu'ils parcourent sont
divisibles à l'infini. Si, en effet la tortue dépasse le cheval seulement de
cent pieds et si cet espace est divisible à l'infini tandis que le mouvement
a lieu selon l'avant et l'après, jamais ils n'amèneront le mobile le plus
rapide jusqu'au plus lent, puisque le plus lent est toujours en avant d'un
intervalle qui se divise à l'infini. Que de l'eau qui s'écoule d'un vase ou
d'une coupe ne s'épuisera jamais, n'est-ce pas contraire au sens commun ?
Mais comment ne serait-ce pas la conséquence de leurs thèses ? Car on
ne peut imaginer comment un mouvement qui a lieu suivant l'avant et l'après dans
un espace divisible à l'infini pourrait être conçu comme s'achevant
complètement ; il est toujours en arrière d'une division sur l'écoulement
complet, sur le glissement et le déversement total du liquide, sur le
mouvement total du solide, sur la chute d'un poids lâché qui n'est jamais
achevée. Adib G.
Hathout Décembre 2010 |
[2] Cf. Encyclopédie libre Wikipédia
http://fr.wikipedia.org/wiki/Entrep%C3%B4t_de_donn%C3%A9es
[4] Texte de Pierre Aubenque à la page 193 de « La philosophie païenne ».
Par Pierre Aubenque, Jean Bernhardt, François
Châtelet. Hachette Littérature. 1972.
[5] Page 177 de « Les
Stoïciens ». Traduction par Emile Bréhier, revue par V. Goldschmidt.
Bibliothèque de la Pléiade. Gallimard. 1962.